Juste au dessous d’un acte de baptême daté du 17 mars 1716, le recteur du Trévoux (Finistère), écrit dans l’un de ses registres (collection paroissiale) : « Cette nuit ce jour parut un phénomène terrible dans le ciel ». Ceci n’est pas sans rappeler l’annotation du curé de Pleyber-Christ, dans ses propres registres, trois ans plus tard, sur l’observation d’une météorite vue dans le ciel finistérien.
Il s’agit ici manifestement d’une aurore boréale exceptionnelle, vue cette nuit là en de nombreux endroits d’Europe. Elle fut notamment observée par les astronomes Edmond Halley à Londres (encore lui) et Roger Cotes à Cambridge. Leurs témoignages et analyses peuvent être lus dans les numéros 347 et 365 des Transactions philosophiques (pages 406 et 60, respectivement). Les deux astronomes se réfèrent à la date du 6 mars mais il s’agit bien du même phénomène observé au Trévoux. La différence de date étant due aux écarts de calendrier français et anglais à cette époque.
Dans des articles parus dans les Transactions Philosophiques, on peut également lire que cette aurore a été aperçue à Paris et Dublin, ainsi que depuis un navire navigant au NW de l’Espagne, par 45°36’N. Par la suite, d’autres aurores, de moindre intensité, ont été vues à de basses latitudes les 31 mars, 1er et 2 avril de la même année.
L’article de la Wikipedia sur les aurores polaires, nous indique que celles-ci se produisent principalement dans les régions proches des pôles magnétiques, dans une zone annulaire appelée « zone aurorale », comprise en général entre 65 et 75° de latitude. En cas d’activité solaire intense, l’arc auroral s’étend vers des latitudes plus basses. Deux facteurs sont donc à considérer pour que l’on puisse voir des aurores à nos latitudes : la position du pôle nord magnétique et l’activité solaire. Les aurores sont en effet provoquées par l’interaction entre les particules chargées du vent solaire et la haute atmosphère : plus le soleil est actif, plus le vent solaire est intense.
La position du pôle a surtout été mesurée à partir du début du XXème siècle (Amundsen, 1904). Une seule mesure avait, semble-t-il, précédé celle d’Amundsen : celle de James Clark Ross en 1831. Les deux positions, situées à environ 50 km l’une de l’autre, se trouvent au Nunavut. Depuis, le pôle se déplace d’environ 55 km par an, en moyenne, vers le NNW. Mais où était-il en 1716 ?
C’est la modélisation qui nous renseigne. Le modèle actuel le plus abouti pour la période 1590-1900 semble être le modèle gUFM (Jackson et al., 2000). C’est le modèle officiel de la NOAA pour cette période. Il situe le pôle nord magnétique par environ 74°N – 114°W, soit encore au Nunavut, à une distance d’environ 5100 km du Finistère. Aujourd’hui, il se trouve par 86°N – 166°W, ce qui représente une distance d’environ 5500 km. Cela ne fait pas grande différence.
Qu’en est-il de l’activité solaire ? Vers 1843, l’astronome amateur allemand Heinrich Schwabe remarque un cycle d’environ 11 ans du nombre de tâches sombres observées à la surface du soleil. Quelques années plus tard, Johan Rudolf Wolf établit un lien entre l’activité solaire et le nombre de tâches sombres du soleil. Cette méthode, peu précise, a l’avantage de couvrir 350 ans d’observations. Le nombre de Wolf (Sunspot Number en anglais)(R), dépend du nombre de tâches (t), du nombre de groupes de tâches (g) et d’un coefficient correcteur (k) appliqué pour tenir compte du moyen d’observation utilisé pour effectuer le comptage. La figure ci-dessous indique le nombre de Wolf depuis 1749 (trait bleu). Il résulte d’une moyenne effectuée sur les relevés de plusieurs observatoires. Pour les années antérieures, les observations étaient plus sporadiques (croix rouges), donc moins précises. De nos jours, on mesure l’intensité du rayonnement solaire pour connaître l’activité de l’astre.
Le maximum du 1er cycle de Schwabe a eu lieu en avril 1750. Considérant un cycle de 11 ans, on peut penser que les maximums précédents ont eu lieu en 1739, 1728 et 1717, à plus ou moins un an près. En mars 1716 nous étions donc proche du maximum d’un cycle.